Hommage à François Chaslin (1948-2025), grand critique d’architecture
Permettez-moi de revenir sur un triste événement qui est hélas passé inaperçu en cet été caniculaire. Il s’agit de la disparition du chroniqueur français François Chaslin, à l’âge de 77 ans, le jeudi 7 août 2025. Il est décédé sur une plage du Finistère dans des circonstances qui rappellent étrangement celles du décès du Corbusier (dont il était le grand spécialiste). Tout un symbole… Critique d’architecture, écrivain, enseignant, journaliste, il fut une des figures marquantes de l’architecture française contemporaine. Il fut également très concerné par la Belgique, notamment en tant que Président inamovible du Prix René Pechère depuis sa création en 2008…
Né le 10 août 1948 à Bollène, dans le Vaucluse, François Chaslin fut guidé, dès son enfance, par un sens de l’observation inspiré de ses années passées au sein de l’École Decroly. Plus tard, diplômé de l’École Nationale Supérieure d’Architecture, il développa une vision de l’architecture où l’innovation et la durabilité devaient être les axes privilégiés des projets. Sa curiosité allait s’élargir encore lorsqu’il se forma aux sciences humaines à l’Université Expérimentale de Vincennes, après Mai 1968. Directeur des Expositions à l’Institut Français d’Architecture (1980-1987) et Rédacteur en Chef de L’Architecture d’Aujourd’hui (1987-1994), Chaslin contribua à nourrir un débat critique et à mettre en lumière des figures encore peu connues : Tadao Ando, Henri Ciriani, Christian de Portzamparc, Jean Nouvel, pour n’en citer que quelques-uns. Francis Rambert, ancien directeur de l’Institut Français d’Architecture, souligne chez Chaslin « une approche littéraire, avec une sensibilité sociale, et un regard politique sur l’architecture, sans oublier un vrai talent pour le dessin ».
De 1999 à 2012, grâce à Laure Adler, Directrice de France Culture (et conseillère à la Culture sous la présidence de François Mitterrand), il fit rayonner l’architecture contemporaine dans l’émission « Métropolitains » sur France Culture, passant avec aisance de la littérature à la musique ou au cinéma, transformant la critique architecturale en un espace vivant et accessible. Parallèlement, il enseigna à l’ENSA Paris-Malaquais jusqu’en 2012, insufflant une conception décloisonnée de l’architecture, indissociable des autres disciplines culturelles. Sceptique quant à l’urbanisme moderne mais fervent défenseur de l’innovation et de l’expérimentation, Chaslin cherchait à y introduire des éléments durables – matériaux renouvelables, lumière naturelle – pour créer des environnements qui inspirent et renforcent les liens sociaux.
Écrivain prolifique, à la plume talentueuse, Chaslin était entouré d’une bibliothèque garnie d’un millier de livres. Son rapport à la langue et aux mots était libre et critique, sans adhésion doctrinaire. Il publia notamment « Les Paris de François Mitterrand » (1985), « Une haine monumentale » (1997), « Un Corbusier » (2014) et « Rococo » (2018), dialogue entre textes et dessins, couronné par l’Académie d’Architecture. Son engagement intellectuel s’exprima également dans Libération, Le Monde, Le Nouvel Observateur et El País. Dans son portrait du Corbusier, Chaslin abordait ses débuts et son parcours d’aspirant architecte jusqu’aux années du régime de Vichy, interrogeant avec nuance son éventuel fascisme et son statut d’emblème de la Reconstruction et des années d’après-guerre. Il voyait dans la Cité radieuse de Marseille un des grands objets de la modernité, tout en soulignant les interrogations entourant la « machine à habiter ». Pour lui, Le Corbusier incarnait une modernité radicale, dont l’œuvre transforma l’architecture et l’urbanisme, mais son parcours politique et les controverses qui l’entourent nécessitent une lecture nuancée.
François Chaslin, proche de l’architecture belge
Au fil des années, François Chaslin cultiva avec le Plat Pays des liens d’une intime et féconde proximité. Son admiration pour Victor Horta trouva des prolongements dans l’attachement qu’il portait à l’architecte belge Charles Vandenhove, qui, comme lui, cherchait à marier le classique et le moderne. Grâce à Hugo Martin, archiviste à la Bibliothèque René Pechère à Bruxelles, François Chaslin rejoignit l’équipe du Prix Pechère. Il assuma, dès le départ, la présidence du jury de ce prix littéraire franco-belge, créé en 2008 dans le cadre de l’Année Pechère. Lancé à l’initiative du grand architecte belge du paysage Jean Noël Capart, ce prix fut organisé de 2008 à 2014 par la Bibliothèque René Pechère et repris, ensuite, par le Comité René Pechère (en collaboration avec le CIVA). Tous les 2 ans, il s’agit de célébrer un ouvrage francophone d’excellence qui est consacré à l’art des jardins et du paysage. François Chaslin accompagnait les jurys, défendant rigueur scientifique, qualité d’écriture et richesse iconographique. Sa dernière présidence, en 2024, distingua Jacques Moulin, pour « Les jardins de Versailles – 1623 à 1715 ». Sa prise de parole, dans le Café Littéraire de la Galerie Bortier, lors de la cérémonie de remise du prix, marqua les esprits…
Mais François Chaslin tissa également d’autres liens importants avec le milieu littéraire belge, notamment avec des écrivains tels qu’Eugène Savitskaya. Une telle fidélité témoigne de l’intérêt et de la curiosité qu’un humaniste et Européen comme lui portait à ses voisins d’Outre-Quiévrain. Cette fidélité rejoignait l’esprit de René Pechère, créateur d’espaces remarquables et défenseur du patrimoine, qui voyait le jardin comme un lieu sacré où chacun trouve sa place dans la nature. Jean Noël Capart, ancien président du Comité René Pechère, nous a confié, avec émotion, la personnalité de son ami : « L’héritage de François Chaslin perdurera, car il avait ce don de maîtriser les outils médiatiques au service d’un débat intellectuel ouvert, exigeant mais non élitiste, sur l’architecture, la ville et la société ». Et d’ajouter… « Pour sûr, s’ils s’étaient rencontrés, René Pechère et François Chaslin auraient certainement uni leurs pensées en faveur de la pérennisation de la culture et du patrimoine ». Tout est dit…
Paul Grosjean
Chroniqueur historique
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