Chronique n° 103 du 18 août 2025

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SÉRIE DE L’ÉTÉ / PLUS BELLES DEMEURES / ÉPISODE 7

Quand l’Hôtel Aubecq renaît de ses cendres…

Certains considèrent que l’acte fondateur de la bruxellisation fut la destruction de la Maison du Peuple en 1965. Pourtant, des signes avant-coureurs auraient dû alerter les défenseurs du patrimoine. En 1958, l’Hôtel Solvay fut sauvé in extremis de l’appétit immobilier par Louis et Berthe Wittamer. Mais le pire eut lieu en 1950, toujours du côté de l’Avenue Louise, quand l’Hôtel Aubecq, inventé par le génial Victor Horta, fut rayé de la carte bruxelloise. Aujourd’hui, le secteur public et le secteur privé s’attachent à reconstituer sa façade principale…

C’est en 1899 qu’Octave Aubecq, grand industriel dans le domaine de la tôlerie et de l’émaillerie, commanda à Victor Horta un hôtel particulier de style Art Nouveau à construire au 520 de l’Avenue Louise (pas très loin de l’Hôtel Solvay). La maison comportait 3 façades libres, ce en vue de maximiser l’apport de lumière naturelle. Ces façades se caractérisaient par leur style très ornemental. Comme souvent chez Horta, cet apport en lumière était en outre amplifié par une grande verrière (qui, dans le cas présent, surmontait l’escalier principal). Une autre particularité du bâtiment était la forme de ses pièces, souvent hexagonales ou octogonales. Selon la légende, c’est grâce à cette incongruité que l’architecte bruxellois put imposer ses propres meubles et tendre vers cet art total qui lui tenait tellement à coeur.

Quelques années plus tard, pendant la Première Guerre mondiale, une partie des usines d’Octave Aubecq fut bombardée. C’est ainsi qu’il quitta la Belgique pour la France. L’hôtel resta encore dans la famille le temps d’une génération. Mais les frais d’entretien devenaient considérables et l’hôtel ne répondait plus aux normes modernes de confort. En 1948, Jean Aubecq, fils d’Octave, revendit dès lors le bien familial à un couple de promoteurs immobiliers qui désiraient le démolir en vue de construire un « immeuble de standing ». Notre duo iconoclaste vendit aussitôt le mobilier qui allait se retrouver, quelques années plus tard, en partie au Musée d’Orsay, en partie dans la collection Gillion-Crowet. Entretemps, pour empêcher la destruction de l’Hôtel Aubecq, Julia Horta-Carlsson (seconde épouse et veuve de Victor Horta), introduisit, avec le soutien de Jean Delhaye, le fidèle collaborateur du génial architecte, une demande de classement. Celle-ci fut rejetée par la Commission Royale des Monuments et Sites. Mais finalement, malgré l’absence de classement, le Ministre des Travaux Publics de l’époque, Auguste Buisseret, décida le démontage et la conservation de la large façade principale dans l’espoir d’une hypothétique reconstruction. L’Hôtel Aubecq fut dès lors détruit en 1950 et remplacé par un vulgaire immeuble à appartements de 12 étages.

Longtemps, les amoureux du patrimoine espérèrent pouvoir reconstruire l’Hôtel Aubecq avec les plus de 600 pierres récupérées de la façade principale. Dans les années 70, Maurice Culot, architecte et urbaniste bruxellois, conçut un projet très détaillé qui prévoyait de placer le nouvel édifice au Mont-des-Arts mais l’idée avorta. Quelques années plus tard, Charles Picqué prononça la fin du principe de la reconstruction mais décida que la fameuse façade, propriété de la Région de Bruxelles-Capitale depuis 2001, devait rester visible pour le public. C’est ainsi qu’en 2011, à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Victor Horta, celle-ci fut exposée pendant 3 mois dans un entrepôt à Schaerbeek. En 2025, 75 ans après la démolition de l’Hôtel Aubecq, les pouvoirs publics ont repris la main en partenariat avec le secteur de la construction. Il est prévu de reconstruire la façade, en plusieurs étapes, dans le nouveau centre de formation aux métiers de la construction et du patrimoine à Berchem-Sainte-Agathe. Wait and see…

Paul Grosjean                 

Chroniqueur historique

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