SÉRIE DE L’ÉTÉ 2025 / PLUS BELLES DEMEURES / ÉPISODE 3
Hôtel Errera, trésor méconnu du quartier royal
En cette période de Fête Nationale, intéressons-nous au Quartier Royal. Ce quartier, né à l’époque autrichienne, fut l’œuvre de l’architecte français Gilles-Barnabé Guimard. Mais son chef d’œuvre personnel, peu connu des francophones, est sans doute l’Hôtel Errera…
L’Hôtel Errera, aujourd’hui localisé au coin de la Rue Royale et de la Rue Baron Horta, à côté de la statue d’Augustin-Daniel Belliard (1769-1842), est l’œuvre de Gilles-Barnabé Guimard (1739-1805). C’est en 1779 que l’Abbaye de Grimbergen reçut le terrain, par lettres patentes, de l’Impératrice Marie-Thérèse, avec l’obligation d’y élever, endéans les 3 ans, un bâtiment. Notre architecte conçut ainsi au départ un refuge qui se transforma rapidement en hôtel de maître. Après les abbés, ce furent notamment les familles Hennessy et Obert de Thieusies qui prirent possession des lieux. Et c’est en 1868 que Giacomo Errera acquit l’édifice qui allait rester dans sa famille pendant plus de 100 ans…
Bâtiment rectangulaire, dont la façade principale est tournée vers la Place Royale, l’Hôtel Errera, de style néoclassique, est précédé par une cour intérieure qui daterait de 1858, probablement aménagée sur les plans de l’architecte Joseph Poelaert. Par ailleurs, le riche décor intérieur, d’inspiration Louis XVI, fut amplifié en 1923 par le grand escalier dû à l’architecte François Malfait. D’autres transformations eurent lieu en 1929 sous la direction de Paul Le Bon. Aujourd’hui, ce qui frappe, c’est l’état de conservation du palais. C’est sans doute un des immeubles du Quartier Royal parmi les mieux conservés. Il a résisté aux assauts du temps, qu’il s’agisse de la Révolution de 1830 ou de la Jonction Nord-Midi…
Mais il est un autre aspect qui sort l’Hôtel Errera du lot. Cet élément, qui tient du patrimoine immatériel, concerne la famille Errera. Giacomo Errera (1834-1880) fut le premier représentant de cette grande lignée juive séfarade à marquer cet immeuble de son empreinte. Il était issu d’une dynastie de banquiers établis à Venise. C’est en 1856 qu’il arriva en Belgique. Il s’initia aux questions financières sous la houlette de Joseph Oppenheim dont il épousa la fille Marie le 3 septembre 1857. Marie Errera-Oppenheim (1836-1918) devint donc la seconde propriétaire de l’Hôtel Errera au décès de son mari en 1880. Passionnée par les arts, surtout la musique et la littérature, elle parlait plusieurs langues. Tous les jours, elle couchait ses pensées dans son journal intime où elle faisait preuve d’un esprit critique au-dessus de la moyenne. Ses réflexions sont à découvrir dans le beau livre de Milantia Bourla sur les Errera (Editions RACINE).
Paul Errera (1860-1922) était le second fils de Giacomo et Marie. En 1890, il épousa religieusement Isabelle Goldschmidt (1869-1929) à Paris. Il fut Recteur de l’ULB entre 1908 et 1911. Il fut également bourgmestre libéral d’Uccle entre 1912 et 1921. C’est en 1918, à la mort de sa mère, qu’il reprit l’Hôtel Errera. A ses funérailles, Xavier de Bue prit la parole pour la commune d’Uccle et Franz Philippson au nom de la communauté israélite. Isabelle Errera-Goldschmidt reprit alors la demeure de son mari. Elle avait une forte personnalité aux goûts artistiques hors du commun. Son salon était fréquenté par tout le gratin belge d’Henry Van de Velde à Emile Vandervelde en passant par Paul-Henri Spaak. Jacques Errera (1896-1977), fils de Paul et Isabelle, s’installa dans l’Hôtel Errera au moment du décès de sa mère en 1929. Il allait y rester près de 50 ans, jusqu’à son dernier souffle en 1977. Ce personnage haut en couleurs était Docteur en Sciences Appliquées et en Sciences Chimiques. Il obtint en 1938 le prestigieux Prix Francqui (plus haute distinction scientifique en Belgique). Après la guerre, il récupéra son hôtel de la Rue Royale où il découvrit que les nazis avaient emporté ses archives. Après avoir repris ses activités scientifiques, il devint en 1959 Haut-Commissaire à l’Energie Atomique. Grâce à ses nombreuses relations mondaines, il poursuivit la tradition du salon Errera à la Rue Royale. Homme dérangeant et sarcastique, il séduisait autant qu’il n’irritait. Ami du Roi Léopold III et du Roi Baudouin, il était surtout très proche d’Albert Einstein (1879-1955). Quand il était en Belgique et qu’il n’était pas invité par la Reine Elisabeth, le Prix Nobel de Physique logeait dans l’Hôtel Errera. Jacques Errera mit fin à ses jours le 30 mars 1977. Baudouin et Fabiola ainsi que Léopold III et la Princesse de Réthy envoyèrent des messages de condoléances à la famille Errera pour saluer la perte d’un « serviteur dévoué de la Belgique » …
Aujourd’hui, le paradoxe est que ce superbe Hôtel Errera, habité pendant plus d’un siècle par une famille très attachée à la Belgique, est occupée, depuis 1992, par les nationalistes flamands. C’est maintenant Matthias Diependaele (N-VA) qui est l’occupant de cette demeure située à proximité du cabinet du Premier Ministre. Le bâtiment reste inaccessible pour le commun des mortels. Pourtant, cette merveille architecturale est un fantastique témoin du Tracé Royal qui va de l’Eglise Royale Sainte-Marie jusqu’au Palais de Justice en passant par la Colonne du Congrès, le Palais Royal, les Musées Royaux des Beaux-Arts et le Conservatoire Royal de Bruxelles. En ce moment de communion nationale, j’émets le voeu que le public puisse découvrir ce trésor entièrement restauré grâce à la Flandre…
Paul Grosjean
Chroniqueur historique
+32 477 336 322
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