Chronique n° 97 du 7 juillet 2025

Immeuble ING Avenue Marnix : Diana Murray Watts et Sebastian Moreno-Vacca veillent à préserver l’héritage de Léon Lambert…. (copyright Sebastian Moreno-Vacca).

SÉRIE DE L’ÉTÉ 2025 / PLUS BELLES DEMEURES / ÉPISODE 1

Et Léon Lambert créa le plus bel appartement de Bruxelles…

Place maintenant à ma série de l’été qui s’inscrit dans le prolongement de la saga des plus belles demeures de Bruxelles que j’ai initiée cette année dans LA LIBRE BELGIQUE (supplément ESSENTIELLE IMMO). Et pour lancer ce feuilleton estival, je n’ai choisi ni une maison ni un château ni un palais mais bien un appartement. Mais pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de celui de Léon Lambert (1928-1987). Ce penthouse d’exception (qui abritait une collection unique) fut porté par un homme au destin hors du commun…

C’est en 1950, à seulement 22 ans, que Léon Lambert prit la direction de la Banque Lambert. Diplômé de l’Institut des Hautes Etudes Internationales de Genève, il était considéré comme le jeune prodige de la finance internationale. Sous sa coupe, la banque connut un essor spectaculaire. Mais si Léon Lambert est entré dans l’histoire de Bruxelles, c’est surtout grâce au superbe immeuble moderniste qui trône au coin de l’Avenue Marnix et de la Rue du Trône (en face du Palais Royal et de la statue de Léopold II). Ce chef d’œuvre architectural, inauguré officiellement en mars 1965, était le fruit de la créativité de Gordon Bunshaft (qui avait notamment conçu pour David Rockefeller le siège de la Chase Manhattan Bank dans le cœur de Big Apple). Grâce au grand architecte new yorkais, le bâtiment emblématique de la Banque Lambert devint un épicentre d’architecture, de design et d’art. Parfait symbole des tendances « internationalistes » de l’époque, cet immeuble de bureaux fut proclamé comme novateur partout en Europe. Aujourd’hui encore, l’ancien quartier général de la Banque Lambert (maintenant ING Belgique après avoir été BBL) fait penser à un palazzo italien des temps modernes.

Dans son ouvrage dédié à l’ancienne Banque Lambert, urban.brussels précise que les deux niveaux les plus élevés, comme décalés par rapport au restant du bâtiment, abritaient des espaces de conférence et d’accueil ainsi qu’un immense appartement destiné au Baron Lambert (900 m2), disposant d’une impressionnante terrasse de toit avec une vue panoramique sur la ville. Pour accéder au penthouse de Léon Lambert, il fallait monter un impressionnant escalier spiralé de forme ovale. Le grand hall de l’appartement exposait, entre autres, le triptyque d’Alberto Giacometti Femme debout. Inutile de préciser que l’antre de Léon Lambert était le principal écrin de la collection homonyme. Impossible d’évoquer sa tanière sans faire référence aux maîtres qui s’y trouvaient : Chagall, Bonnard, Kirchner, Ernst, Degas, Bacon, Pollock, Dubuffet, Miro, Giacometti, Rothko, Calder, Moore, Picasso, Léger, Permeke…

En réalité, Léon Lambert habita près de vingt-cinq ans dans le plus bel appartement de la capitale du Royaume de Belgique. Au travers de son style flamboyant, c’est un peu de New York qui s’était installé à Bruxelles. Dans son logis, il recevait les plus hautes personnalités de tous les bords : d’Andy Warhol à Henry Kissinger en passant par Alain Delon, Rudolf Noureev, Grâce de Monaco, Paul Delvaux ou Pierre Cornette de Saint-Cyr. Pour accueillir dignement ses hôtes, il organisait des dîners d’exception en faisant appel aux meilleurs chefs (dont un ancien cuisinier de Charles de Gaulle).

Hélas, dans les années quatre-vingts, Léon Lambert fut rattrapé par cette épidémie de SIDA qui sévissait dans les milieux artistiques à New York. Quelques jours avant sa mort, il exprima sa volonté de vendre aux enchères une partie importante de sa collection (qui comptait à peu près deux cents pièces). Cela provoqua une réaction d’indignation dans la presse belge. Malgré tout, le 12 mai 1987, ses œuvres majeures, dont les trois Giacometti, partirent de chez Christie’s pour un montant record. Les autres pièces furent transférées dans la collection BBL… Après le décès, le 26 mai 1987, de Léon Lambert (qui n’avait pas d’enfant), son appartement fut entièrement vidé, démantelé et subdivisé en bureaux. Mais si sa collection fut dispersée, son esprit demeura. Grâce à Patricia De Peuter, la vision du baron fut, non seulement préservée, mais aussi amplifiée. La curatrice en chef de la Collection BBL, parvenant à se détacher de toute démarche spéculative, privilégia fondamentalement une approche muséale. Reconnaissons que dans un établissement bancaire, c’est plutôt rare.

Mais au-delà de cet héritage immatériel, il est un patrimoine matériel qui a pu être sauvegardé, en l’occurrence l’architecture du bâtiment iconique de l’Avenue Marnix. Aujourd’hui, les travaux de rénovation de l’édifice sont menés de main de maître par l’association momentanée de deux cabinets d’architecture : A2M + M2A. Et à la barre de ce chantier exemplaire, il y a Sebastian Moreno-Vacca qui travaille de concert avec son épouse, Diana Murray Watts, historienne de l’art. Celle-ci veille au respect de l’esprit du Baron Lambert comme on surveille le lait sur le feu. On attend donc avec impatience la réouverture de l’immeuble ING (qui est prévu à la fin de l’année) …

Paul Grosjean

Chroniqueur historique

+32 477 336 322

paul@metropaul.brussels

www.tresorsdebruxelles.be