Chronique n° 115 du 12 novembre 2025

Et Neuhaus inventa la praline dans la Galerie de la Reine…

Si vous cherchez une idée de beau livre à offrir à l’occasion des fêtes de fin d’année, je ne peux que vous conseiller le superbe opus « Neuhaus, inventeur de la praline belge » de Charlotte Huens et Pacôme Nasier (paru aux Editions Racine). Cet ouvrage nous plonge dans les coulisses de cette maison prestigieuse, révélant les artisans, les experts, les compagnons qui perpétuent l’excellence Neuhaus. Aux textes de Charlotte Huens et Pacôme Nasier, s’ajoutent les photos d’Antoine Mélis qui magnifient cette matière sensuelle qu’est le chocolat. Quant à moi, pour compléter ce tableau séduisant, permettez-moi, en tant que chroniqueur bruxellois, de vous rappeler la fabuleuse histoire des pralines belges…

Comme vous le savez, les Galeries Royales Saint-Hubert sont un des symboles vivants du dynamisme économique de Bruxelles. Par leur beauté patrimoniale, ces passages historiques incarnent l’excellence, la tradition et le rayonnement des magasins bruxellois. Qu’il s’agisse d’enseignes disparues ou déplacées, de marques centenaires ou plus jeunes, de hauts commerces ou de commerces plus modestes, de Fournisseurs de la Cour ou d’autres fournisseurs, nombreuses sont leurs vitrines qui ont fait partie, qui font partie ou qui feront partie du patrimoine commercial de Bruxelles. Et au-dessus du lot, il y a bien sûr Neuhaus qui appartient désormais au panthéon de la gastronomie bruxelloise.

En réalité, cette aventure incroyable a débuté en 1857, soit 10 ans après l’inauguration des Galeries Saint-Hubert. C’est à cette époque que le citoyen helvétique et neuchâtelois Jean Neuhaus (1812-1892) décida de s’installer à Bruxelles. Jean Neuhaus ouvrit donc, avec son beau-frère, dans la Galerie de la Reine, aux numéros 25 et 27, une confiserie pharmaceutique. Il y vendait des bonbons pour la toux, des guimauves et des réglisses contre les maux d’estomac. Le succès fut immédiatement au rendez-vous. A la mort de son beau-frère et associé, Jean Neuhaus demanda à son fils, Frédéric Neuhaus (1846-1912), de le rejoindre à Bruxelles. Grâce à lui, de plus en plus, dans la Galerie de la Reine, à côté des sucreries médicinales, la maison Neuhaus allait proposer des bonbons au caramel, des gelées de fruit et des chocolats à la vanille. C’était la grande époque du chocolat en Europe et, en particulier, en Belgique.

Frédéric Neuhaus mourut en 1912. Son fils, Jean Neuhaus Junior (1877-1953) reprit donc la direction de la société familiale. Mais cette année 1912 fut historique pour une autre raison : elle fut celle de l’invention de la « praline ». Jean Neuhaus Junior inventa à ce moment-là une bouchée au chocolat, qu’il baptisa « praline » et qui allait devenir une des créations belges les plus connues et appréciées dans le monde. Le nom avait été choisi en référence à César de Choiseul, Duc de Plessis-Praslin (1598-1675). L’acte de dépôt de la « praline » fut enregistré en 1912. Et le succès fut immédiat…

La façon la plus évidente de vendre des pralines, puisque on était en Belgique, était alors de les entasser, comme les frites et d’autres denrées, dans un cornet en papier. Mais les pralines se griffaient, s’abîmaient et, surtout, celles du fond étaient écrasées. La femme de Jean Neuhaus, Louise Agostini, imagina dès lors la manière de les répartir sans dommage : elle créa à cet effet le « ballotin ». Les pralines étaient désormais conservées les unes à côté des autres, disposées en couches séparées. Le procès-verbal du dépôt du ballotin est daté du 16 août 1915, à deux heures et demie de l’après-midi (heure belge). Le texte fut ainsi rédigé : « Monsieur Jean Neuhaus, confiseur, demeurant à Bruxelles, Galerie de la Reine 25, se présente au greffe du Conseil des Prud’hommes de la Ville de Bruxelles et y dépose une enveloppe cachetée qu’il dit contenir l’échantillon d’un modèle industriel, (enveloppe en carton pour bonbons), dont il veut se réserver l’usage exclusif à perpétuité, lequel modèle, Monsieur Jean Neuhaus, préqualifié, déclare se rapporter à l’industrie du cartonnage et à celle de la confiserie et du chocolat et de tous les autres produits alimentaires ». Malgré ce dépôt, Jean Neuhaus accepta que ses confrères puissent utiliser des ballotins semblables pour leur propre firme. C’est ainsi que depuis 110 ans, toutes les grandes marques de chocolat belge (et non belge) recourent à ce procédé. Pas étonnant que toutes ces enseignes se retrouvent aujourd’hui dans les Galeries Royales Saint-Hubert aux côtés de Neuhaus…

Paul Grosjean

Chroniqueur bruxellois

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