Chronique n° 104 du 25 août 2025

 SÉRIE DE L’ÉTÉ / ÉPISODE 8

 Et Ferdinand de Meeûs créa le Château d’Argenteuil…

Beaucoup de gens croient que Léopold III a habité le Château d’Argenteuil. C’est tout à fait faux puisque ce château est situé ailleurs dans le domaine. Il devient donc urgent de raconter la vraie histoire de ce fameux Domaine d’Argenteuil. Derrière ce superbe territoire, situé aux confins de la Forêt de Soignes, il y avait, au départ, un homme au pouvoir considérable, Ferdinand de Meeûs (1798-1861), premier gouverneur belge de la Société Générale (de Belgique)…

A sa fondation, en 1822, par le Souverain des Pays-Bas, Guillaume Ier, la Société Générale avait reçu 28.108 hectares de terres en tant que capital en nature, dont la Forêt de Soignes. A partir de 1830, Ferdinand (de) Meeûs, premier gouverneur belge de la Société Générale, décida de revendre une partie de ces territoires afin de financer la révolution industrielle. Dès 1831, plus de 6.500 hectares furent ainsi vendus à des propriétaires privés. Pour la famille Meeûs, les deux premières transactions, qui auraient porté sur 265 hectares de la forêt brabançonne, remontaient à 1833 et 1836. En vérité, Ferdinand de Meeûs (qui, entretemps, avait été fait comte par Léopold Ier) continua à agrandir son domaine tout au long de sa vie…

En 1837, Ferdinand de Meeûs fit ériger dans sa propriété un somptueux château qui fut anéanti par un incendie dix ans plus tard et dont il ne reste que très peu de représentations. Le second château, qui devait surpasser le premier par sa beauté, fut bâti, au même endroit, entre 1856 et 1858, par l’architecte Jean-Pierre Cluysenaar (1811-1880), figure de proue de l’éclectisme en Belgique, qui s’était déjà rendu célèbre en inventant les superbes Galeries Saint-Hubert à Bruxelles quelques années auparavant. Autour du château, il y avait d’autres édifices ou espaces, dont une orangerie, des serres, une ferme, des écuries, un potager, un verger… Par ailleurs, l’aménagement du parc fut confié au paysagiste d’origine allemande Edouard Kellig (1827-1895), auteur du Bois de la Cambre. En fait, petit-à-petit, allait se constituer un parc romantique à l’anglaise avec de multiples points d’attraction : étangs, grottes, embarcadères, pavillon, kiosque… Et suivant la tradition en cours au XIXème siècle, ces jardins recelaient aussi d’importantes collections d’arbres et de plantes aux essences variées. Au total, au jour de son décès, le 5 avril 1861, la propriété de Ferdinand de Meeûs (pas encore d’Argenteuil) faisait 785 hectares sur les communes de Waterloo, de Lasne et de La Hulpe…

Un an après le décès de Ferdinand de Meeûs, selon sa volonté, fut achevée la fameuse église de fer (intitulée Eglise Notre-Dame d’Argenteuil) qui fut une première mondiale. Elle fut ensuite remplacée par un autre bâtiment. A la suite de la mort, en 1874, de la veuve de Ferdinand, le domaine fut légué à son dixième enfant, Henriette de Meeûs (1838-1907), qui n’avait pas de descendance. Puis, ce fut au tour de Louis de Meeûs (1857-1924) de prendre en charge la propriété. Son épouse fut la dernière châtelaine d’Argenteuil. Au décès de Louis, ses deux fils, Ludovic (1892-1961) et Stanislas (1894-1972) prirent le relais. En 1929, ils apportèrent une bonne partie de leurs terres à la société civile anonyme « Domaine d’Argenteuil » afin d’organiser la vente par lots du domaine. Quelques années plus tard, après la partition des terres, plusieurs membres de la famille obtinrent de Léopold III le droit d’ajouter « d’Argenteuil » à leur patronyme. Certains dirent que leur demande était paradoxale puisque la propriété venait d’être démembrée. En tout cas, depuis lors, la famille s’appelle « de Meeûs d’Argenteuil »…

Au début des années 1930, William Hallam Tuck (1890-1966), né à Baltimore et ami du président américain Hebert Hoover (1874-1964), acquit 143 hectares de la propriété des Meeûs d’Argenteuil. Notre homme d’affaires (qui avait épousé la richissime Hilda Bunge) y fit alors construire, par l’architecte new yorkais William Delano (1874-1960), une gentilhommière de style Louis XIV pour y résider l’été. Quelques années plus tard, cette propriété fut reprise par l’Etat belge. C’est ainsi que Léopold III allait vivre les 22 dernières années de sa vie, entre 1961 et 1983, dans ce castelet waterlootois. Mais n’oublions pas l’histoire du véritable Château d’Argenteuil. Rappelons que ce château, qui avait été cédé aux carmélites au début des années 1930, fut racheté dès 1937 par la Compagnie Mobilière et Immobilière Liégeoise (Comil), société de la famille de Launoit. L’année suivante, le futur Comte (Paul) de Launoit (1891-1981) fit construire, pour les religieuses, du côté sud-est du domaine, un nouveau couvent (toujours en activité).

Aujourd’hui, le Château d’Argenteuil est le siège de l’Ecole Européenne Bruxelles-Argenteuil (dirigée par le Prince Félix de Merode). Autour du château comtal, il y a le Centre Scolaire de Berlaymont, le Waterloo Ducks Hockey Club, le Carmel d’Argenteuil, l’Eglise Notre-Dame d’Argenteuil et la Chapelle Musicale Reine Elisabeth. Un mélange détonant d’écologie, d’éducation, de culture, de sport, de générosité…

Cet épisode prestigieux clôture donc ma série de l’été dédiée aux plus belles demeures de Bruxelles et alentours. Heureusement, cette saga ne s’arrête pas là dans la mesure où elle continue, à partir du 6 septembre, sur une base mensuelle, dans La Libre Belgique (supplément Essentielle Immo du week-end). Et pour en savoir encore plus sur tous ces contenus passionnants, je vous donne rendez-vous à la fin de l’année dans vos librairies préférées où vous pourrez découvrir mon nouveau livre (à paraître aux Editions Aparté) sur les plus belles résidences bruxelloises. De quoi terminer 2025 en beauté…

Paul Grosjean

Chroniqueur historique

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