Chronique n° 101 du 4 août 2025

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SÉRIE DE L’ÉTÉ 2025 / PLUS BELLES DEMEURES / EPISODE 5

Hôtel d’Ursel, trésor disparu de l’architecture bruxelloise

Quand ils citent les dégâts de la « bruxellisation », les observateurs se réfèrent immanquablement à la destruction de la Maison du Peuple en 1965. Mais très peu évoquent la disparition, en 1960, de l’Hôtel d’Ursel, situé entre la Grand-Place et la Gare Centrale. Ce trésor de l’architecture bruxelloise du XVIIIème siècle autrichien mérite pourtant le détour…

Précisément, la splendeur de la famille d’Ursel se développa à partir des premiers ducs. Le précurseur fut Conrad-Albert d’Ursel (1665-1738). C’est lui qui lança les travaux initiaux de transformation de l’immeuble familial. Les plans furent signés par l’architecte Pierre Carpentier en 1729. Pendant plus ou moins un an, l’entrepreneur Franciscus Van Eynde s’attela à exécuter son projet. En fait, Carpentier et Van Eynde allaient supprimer complètement l’aspect traditionnel du bâtiment qui datait du XVIème siècle. Le résultat final fut une sobre façade néoclassique qui était néanmoins rehaussée d’un haut portail.

En 1738, le deuxième duc, Charles d’Ursel (1717-1775), prit le relais de son père. Il poursuivit son œuvre en construisant, en 1754 et 1755, un vaste bâtiment destiné aux écuries. En 1769, il demanda au grand architecte Laurent-Benoît Dewez (1731-1812) de réaliser les intérieurs et, notamment, l’escalier d’honneur et l’appartement de parade. Le décor dessiné par Dewez fut exécuté par les meilleurs artistes et artisans du pays. Bref, les transformations réalisées, entre 1729  et 1773, dans le strict respect des règles de l’hôtel particulier à la française selon Jacques-François Blondel (1705-1774), firent de l’Hôtel d’Ursel un des plus prestigieux de Bruxelles.

C’est en 1775, au décès de son père, que le troisième duc, Wolfgang-Guillaume d’Ursel (1750-1804), prit possession des lieux. Il assura la transition entre la période autrichienne et la période française. Durant la Révolution Française, les temps furent mouvementés. Ce n’est qu’à partir de la prise de pouvoir par Napoléon Bonaparte que la noblesse fut petit-à-petit réintégrée dans l’administration de la ville. Charles-Joseph d’Ursel (1777-1860), quatrième duc, devint ainsi l’avant-dernier maire de Bruxelles (entre 1810 et 1814). Puis, ce fut la période hollandaise durant laquelle Charles-Joseph poursuivit son œuvre urbanistique en tant que Ministre des Travaux Publics de Guillaume Ier d’Orange (1772-1843). Le 27 septembre 1860, après avoir dirigé l’Hôtel d’Ursel pendant 56 ans, Charles-Joseph décéda. A ce moment-là, à cause du nouveau droit successoral, l’héritage dut être réparti de manière plus équitable entre les différents ayants droit. Cela marqua le début du déclin de l’Hôtel d’Ursel.

Léon d’Ursel (1805-1878), cinquième duc, succéda à son père. Puis, ce fut au tour de Joseph d’Ursel (1848-1903) d’être aux manettes de l’hôtel pendant 25 ans (tout comme il dirigea le Sénat entre 1899 et 1903). Sa mort donna lieu à des funérailles nationales dans lesquelles l’Hôtel d’Ursel occupa une place importante. C’est alors que Robert d’Ursel (1873-1955) devint le septième duc. Il allait le rester durant 52 ans, traversant deux Guerres mondiales…

Après la Seconde Guerre mondiale, il y eut des tentatives de reconversion du bâtiment en bureaux pour répondre à l’évolution du quartier. Bien que la Ville octroyait les permis, rien ne fut réalisé. Entretemps, l’état de l’Hôtel d’Ursel se dégradait de plus en plus. Par ailleurs, les travaux de la Jonction Nord-Midi et ceux de la Gare Centrale ébranlaient les fondations de l’immeuble (de plus en plus encerclé par les bureaux). Enfin, le laxisme de la Ville de Bruxelles face aux promoteurs ainsi que le manque de considération pour les monuments du XVIIIème siècle allaient porter le coup de grâce…

En 1955, Henri d’Ursel (1900-1974), en devenant le huitième duc, hérita de ce chaos typiquement bruxellois. Avec l’aide de sa sœur Hedwige, il résista encore 5 ans, ne pouvant pas se résigner à l’inéluctable. Le 20 mai 1956, un grand bal fut même organisé pour célébrer le 400ème anniversaire de l’hôtel. Et arriva ce qui devait arriver… En 1960, Jean-Baptiste L’Ecluse, promoteur immobilier, devint propriétaire de l’immeuble. Le but était de construire un des premiers gratte-ciel de la ville, la tour Westbury en l’occurrence. Même si l’Hôtel d’Ursel ne bénéficiait d’aucune protection légale, il est interpellant de constater que sa démolition suscita à ce point peu de réactions. Le 20 octobre 1960 commença donc la démolition de ce chef d’œuvre du XVIIIème siècle. Le 5 février 1961, l’hôtel avait complètement disparu. La tour fut inaugurée en mai 1963. En 1978, elle devint la tour du Lotto, qui allait être démolie en 2003. Depuis 2006, c’est le Central Plaza (situé au 25 de la Rue Loxum) qui occupe le terrain. Hélas, il n’y a aujourd’hui aucune allusion à l’histoire prestigieuse de l’Hôtel d’Ursel en ces lieux. Ça, c’est Bruxelles…

Paul Grosjean

Chroniqueur historique

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